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La "Marseillaise" universelle

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Edgar Morin a écrit un bel article sur notre hymne national. Le voici :

 
La Marseillaise, que l'on chante  désormais dans une étonnante  unanimité, des communistes aux lepenistes, vient d'être brutalement mais justement secouée. (...) [Il s'agit surtout]du 1er couplet, que l'on chante en ignorant les autres. Comme ce couplet apparaît révoltant et absurde si on le place dans  notre conjoncture actuellement pacifique, j'ai voulu expliquer pourquoi il me paraît important de l'assumer quand même. Le 1er couplet de La Marseillaise, qui est seul exécuté, mémorisé et chanté, surprend. Cet hymne de combat (il fut celui de  l'armée du Rhin (composé par Rouget de Lisle en 1792, adopté comme hymne national en 1795, puis définitivement en 1879) est tout à fait différent des [autres] hymnes nationaux, qui sont quasi religieux et liturgiques, à la Nation (Deutschland über alles, « l'Allemagne au-dessus de tout" ) ou à la royauté, symbole de la Nation (God Save the King, « Que Dieu sauve le roi ››). Cet hymne de combat est un hymne d'éveil et de résistance à l'invasion des  armées royalistes conjurées. Le danger est alors mortel pour la République naissante. Son caractère sanguinaire est lié à ce  moment d'exaltation, voire d'ivresse vitale. Et surtout, il lie indissolublement l'identité de la République à la résistance aux tyrannies. Il lie non moins indissolublement l'idée de République ã l'idée de France.

Couplet 1
Allons enfants de la Patrie,
Le jour de gloire est arrivé !
Contre nous de la tyrannie,
L'étendard sanglant est levé, (bis)
Entendez-vous dans les campagnes
Mugir ces féroces soldats ?
Ils viennent jusque dans vos bras.
Egorger vos fils, vos compagnes !

Vichy a supprimé ce premier couplet, par haine de la République, et effacé la résistance à l'invasion parce qu'il pratiquait la collaboration avec l'envahisseur. Vichy fut raciste et non le 1er couplet de La Marseillaise, qui est certes sanguinaire, mais dans l'ivresse guerrière. Or ce caractère sanguinaire est ouvertement répudié pour l'après-victoire. (voir fin du couplet 15).

La Marseillaise a eu quinze couplets originaux, qu'il faut ici rappeler. Les 2e, 3e et 4e couplets confirment et prolongent le 1er.

Couplet 2
Que veut cette horde d'esclaves
De traitres, de rois conjurés?
Pour qui ces ignobles entraves,
Ces fers dès longtemps préparés? (bis)
Français ! Pour nous, ah! Quel outrage
Quels transports il doit exciter!
C'est nous qu'on ose méditer
De rendre à l'antique esclavage!

Couplet 3
Quoi ! Ces cohortes étrangères
Feraient la loi dans nos foyers !
Quoi! Ces phalanges mercenaires
Terrasseraient nos fils guerriers ! (bis)
Dieu ! Nos mains seraient enchaînées !
Nos fronts sous le joug se ploieraient !
De vils despotes deviendraient
Les maîtres de nos destinées !

Couplet 4
Tremblez, tyrans et vous, perfides,
L'opprobre de tous les partis !
Tremblez ! Vos projets parricides
Vont enñn recevoir leurs prix! (bis)
Tout est soldat pour vous combattre
S'ils tombent, nos jeunes héros,
La terre en produit de nouveaux,
Contre vous tout prêts à se battre.

Le 5e couplet prend de la hauteur, devient magnanime et demande d'épargner « les  tristes victimes s'armant à regret contre  nous ››.  

Couplet 5  
Français, en guerriers magnanimes,  
Portons ou retenons nos coups !  
Epargnons ces tristes victimes,  
A regret s'armant contre nous ! (bis)  
Mais ce despote sanguinaire!  
Mais ces complices de Bouillé!  
Tous ces tigres qui, sans pitié,  
Déchirent le sein de leur mère !  

Le 6e, magnifique, introduit le patriotisme, le liant à la liberté (adopté par Vichy parce que Patrie remplace République).  

Couplet 6   
Amour sacré de la Patrie  
Conduis, soutiens nos bras vengeurs !  
Liberté, Liberté chérie,  
Combats avec tes défenseurs ! (bis)  
Sous nos drapeaux que la victoire  
Accoure à tes mâles accents!  
Que tes ennemis expirants  
Voient ton triomphe et notre gloire !  

Refrain   
Aux armes, citoyens,
Formez vos bataillons !
Marchons, marchons !
Qu'un sang impur...
Abreuve nos sillons !

La strophe sur le « sang impur ›› choque légitimement aujourd'hui. Mais le caractère racial du sang n'est nullement présent dans la conscience des révolutionnaires du XVIIIème siècle. ll n'apparaitra qu'avec les théories racistes de Gobineau et du nazisme.

Le 7ème couplet introduit les générations futures dans la continuité républicaine et tyrannicide.

Couplet 7
(Couplet des enfants)
Nous entrerons dans la carrière
Quand nos aînés n'y seront plus ;  
Nous y trouverons leur poussière  
Et la trace de leurs vertus. (bis)  
Bien moins jaloux de leur survivre  
Que de partager leur cercueil  
Nous aurons le sublime orgueil  
De les venger ou de les suivre!  

Le suivant est déiste. il nous évoque le  culte de l'Etre suprême de Robespierre et aussi le Gott mit uns (« Dieu avec nous ››)  des Allemands. ll fut supprimé par Joseph Servan de Gerbey, ministre de la guerre, en 1792.  

Couplet 8  
Dieu de clémence et de justice  
Vois nos tyrans, juge nos cœurs  
Que ta bonté nous soit propice  
Défends-nous de ces oppresseurs (bis)  
Tu règnes au ciel et sur terre  
Et devant Toi, tout doit fléchir  
De ton bras, viens nous soutenir  
Toi, grand Dieu, maître du tonnerre.  

Le 9e ajoute l'idée d'égalité à celle de liberté;  il faudra attendre 1848 pour la devise  « Liberté, Egalité, Fraternité››. Le 10e porte  un ultime anathème à la royauté.

Couplet 9
Peuple français. connais ta gloire ;
Couronné par l'Egalité,
Quel triomphe, quelle victoire,
D'avoir conquis la Liberté! (Bis)
Le Dieu qui lance le tonnerre
Et qui commande aux éléments,
Pour exterminer les tyrans,
Se sert de ton bras sur la terre.

Couplet 10
Nous avons de la tyrannie
Repoussé les demiers efforts ;
De nos climats, elle est bannie ;
Chez les Français les rois sont morts. (bis)
Vive à jamais la République!
Anathème à la royauté !
Que ce refrain, partout porté,
Brave des rois la politique.

Les 10" et 11" couplets sont les deux couplets  sublimes qui lient patriotisme et universalisme et préfigurent les thèmes de L'Internationale.  

Couplet 11  
La France que l'Europe admire  
A reconquis la Liberté  
Et chaque citoyen respire  
Sous les lois de l'Egalité ; (bis)  
Un jour son image chérie  
S'étendra sur tout l'univers.  
Peuples, vous briserez vos fers  
Et vous aurez une Patrie!  

Couplet 12  
Foulant aux pieds les droits de l'Homme,  
Les soldatesques légions  
Des premiers habitants de Rome  
Asservirent les nations. (bis)  
Un projet plus grand et plus sage  
Nous engage dans les combats  
Et le Français n'arme son bras  
Que pour détruire l'esclavage.  

Les 13e et 14e sont négligeables. Le dernier ouvre un avenir apaisé.  

Couplet 15  
Enfants, que l'Honneur, la Patrie  
Fassent l'objet de tous nos vœux!  
Ayons toujours l'âme nourrie  
Des feux qu'ils inspirent tous deux. (bis)  
Soyons unis! Tout est possible ;  
Nos vils ennemis tomberont,  
Alors les Français cesseront  
De chanter ce refrain terrible.  

La Marseillaise dans son intégrité est donc un grand hymne où sont associées Nation, République, universalisme, liberté, dans  une intensité frémissante qui est justement celle de l'an I, de Valmy, du moment fondateur de la France républicaine et du  moment paroxystique de la défense de l'anI, de Valmy, du n  fondateur de la France républicain  moment paroxystique de la défense de la liberté nationale. Le premier couplet porte cette marque. ll est remémorateur, commémorateur, régénérateur.  

En dépit de ses excès de langage qui, en contrepartie, apportent un extrême romantisme, il doit être conservé. En revanche, il faut ressusciter le 11° et le 12e, qui correspondent si bien à nos temps planétaires d'interdépendance des peuples et de communauté de destin de toute l'humannité. Ils portent en eux l'universalisme de l'ère planétaire déjà présent dans le message de la Marseillaise.

Enfin, La Marseillaise est un hymne d'éveil et de résistance qui a valu pour les résistances qui ont suivi, qui vaut pour celles que nécessite notre temps, et qui vaudra pour les résistances futures.




Edgar Morin  Sociologue et philosophe.  Né en 1921, Edgar Morin est dírecteur de recherche  émérite au CNRS, présidcnt de l'Agence européenne  pour la culture{Unesco) et président de l`Association pour la pensée complexe. Il a publié notamment  « Pour et contre Marx ›› (Temps_présent, 2010),  « Ma gauche ›› (Bourin 2010), « La Voie ›› (Fayard, 2011).  « Au péril des idées ", avec Tariq Ramadan `  (Presses du Chatelet, 200p., 13,95 €).        



30/04/2015
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