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Déchéance du débat

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Le débat sur la déchéance de nationalité montre que le débat public et intellectuel, en France, a bien baissé : tout n'est que confusion et simulation. J'essaie d'y voir clair.

Christiane Taubira, selon son personnage, a tenté de relever le niveau. Hélas, je crains qu'elle se soit trompée de sujet ! Dans son livre, elle s'indigne. C'est son droit, mais de quoi s'indigne-t-elle ? D'une mesure qu'elle juge à la fois « inefficace » et porteuse d'un mauvais symbole, par la « menace » qu'elle fait planer sur les binationaux. Une menace inefficace est-elle encore une menace ? Une menaçante ne prouve-t-elle pas son efficacité ? A vouloir trop prouver, Christiane Taubira prouve qu'elle ne craint pas de se contredire. Il reste qu'elle pose le problème au niveau du symbole.

Voyons donc la question à ces deux niveaux, celui de la symbolique et celui de l'efficacité antiterroriste.

Au niveau des symboles, deux positions contraires sont apparues : pour les uns, la mesure est insuffisante, il faudrait carrément fusiller les terroristes, pour haute trahison (idée rapportée dans une section du PS...) ; pour les autres, nous voilà revenus à un débat qui semblait clos, celui de l'identité nationale ; déchoir quelqu'un de sa nationalité serait lui retirer son identité même, une sorte de crime contre l'humanité, en tout cas une atteinte à un droit fondamental. Ceux-là pencheraient plutôt pour l'indignité nationale, mesure, elle, symbolique s'il en est une.

Une troisième position, enfin, se fait jour, et c'est à peu près celle qui sera finalement proposée par le gouvernement : la déchéance pour tous. En effet, dans le symbole, ce qui choquait surtout, c'était de distinguer deux sortes de français, les binationaux et les autres. C'est d'ailleurs ce que Christiane Taubira avait relevé en premier, en reprochant au projet de créer un symbole qui divise alors que les symboles de la République doivent rassembler. Cette position, la déchéance pour tous, présente l'avantage de traiter tout le monde de la même façon, mais l'inconvénient de risquer de rendre apatride ceux qui ne sont que français. Une convention internationale, signée par la France, interdirait de créer des apatrides. Je n'en suis pas sûr, car il me semble qu'elle stipule que « nul ne peut être privé arbitrairement de sa nationalité ». Si la déchéance de nationalité n'est pas une décision administrative, mais qu'elle est prononcée par un juge lors d'un jugement équitable, elle n'est plus arbitraire.

L'autre niveau de la question est celui des conséquences pratiques.

On a essentiellement mentionné l'effet dissuasif, qui serait à peu près nul. On imagine, en effet, que quelqu'un qui veut commettre un attentat se moque, au moment de passer à l'action, de sa nationalité, qu'il l'a même probablement déjà reniée dans ton cœur. Quant au malaise que ressentirait les binationaux en général, qui créerait une fracture dans la société, il n'est pas du tout certain. « Moi, je ne me sens pas ciblé par cette mesure, je n'ai pas l'intention de commettre un acte terroriste », disait un binational consulté sur la question. En fait, on est encore dans le psychologique et le symbolique. Sur le plan purement juridique et administratif, la déchéance de nationalité aurait d'autres conséquences :

  • retrait du passeport et de la carte nationale d'identité

  • d'où difficultés pour voyager à l'étranger, non seulement dans l'espace Schengen, mais vers de nombreux pays avec lesquels la France a des accords simplifiant les formalités

  • Impossibilité de conférer la nationalité française à son époux(se) par mariage

  • suppression de l'obligation d'assistance et de protection par les ambassades françaises à l'étranger

  • possibilité d'expulser et d'extrader les personnes déchues de la nationalité

Cette mesure ne serait donc pas si neutre que ça sur le plan de la lutte policière contre le terrorisme. Il ne faut certes pas en attendre des miracles, mais la présenter comme seulement symbolique et inefficace, voire comme un chiffon rouge destiné à détourner l'attention, est une méprise.



02/02/2016
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